Yémen: la population du sud-ouest prise au piège des mines

(photos et vidéo)

Début 2018, les combats se sont intensifiés sur la ligne de front entre Taïz et Hodeidah, entre les troupes d’Ansar Allah et les forces soutenues par la coalition internationale, dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unies. Pour empêcher l’avancée des troupes militaires au sol, soutenues par la coalition, des milliers de mines et d’engins explosifs improvisés ont été posés dans la région, sur les routes et dans les champs. Premières victimes de cette menace cachée, les civils: tués, amputés, mutilés à vie. Médecins Sans Frontières demande aux autorités et aux organisations spécialistes davantage de déminage dans les zones civiles, afin de réduire le nombre de victimes.

Ancienne région agricole, la zone qui s’étend de Mocha, au sud-ouest du Yémen, jusqu’à la ligne de front était cultivée avant la guerre. Des villes et des villages proches des zones de combat, comme ceux de Hays et Mafraq Al Mocha, où MSF soutient des postes médicaux avancés, ont perdu une partie de leur population, qui a fui les combats. Les champs ont été abandonnés, puis minés pour empêcher l’avancée des troupes militaires, les rendant inexploitables et entraînant la perte de moyens de subsistance pour la population.

Le district de Mawza, situé à 45 minutes en voiture de Mocha, a ainsi vu sa population diminuer de moitié. « C’est la double peine pour les habitants ici, d’un côté leurs enfants sautent sur des mines, et de l’autre, ils ne peuvent plus cultiver leurs champs, se privant à la fois d’une source de revenus et de nourriture pour leur famille », détaille Claire HaDuong, cheffe de mission MSF au Yémen.

Entre août et décembre 2018, les équipes MSF à Mocha ont reçu et soigné plus de 150 personnes blessées par des mines, des engins explosifs improvisés et des munitions non explosées. Un tiers d’entre eux étaient des enfants, qui par exemple jouaient dans les champs, et dont l’avenir est désormais incertain, à cause des graves séquelles qu’ils garderont à vie.

En créant des générations de personnes mutilées, les mines ont des conséquences à long terme sur le fonctionnement des cellules familiales, mais aussi sur celui de la société, avec des personnes potentiellement plus dépendantes et isolées. Dans les zones agricoles, l’abandon de la culture des champs à cause de la présence de mines a un impact économique direct sur les familles.

Déminage insuffisant

Selon le Yemen Executive Mine Action Centre, 300 000 mines auraient été désamorcées entre 2016 et 2018 par l’armée yéménite. Dans un rapport récent, le Conflict Armament Research faisait état d’une production massive et standardisée de mines et d’engins explosifs improvisés par les forces d’Ansar Allah, ainsi que l’utilisation de mines terrestres antipersonnel et anti-véhicule, et de mines maritimes.

Le déminage, quasi exclusivement militaire, se concentre sur les routes et les infrastructures stratégiques, délaissant les zones civiles. « Il faut que les organisations spécialistes du déminage et les autorités augmentent leurs efforts pour déminer la région et réduire le nombre de victimes », indique Claire HaDuong.

Au-delà du déminage militaire, l’urgence porte sur le déminage civil et la destruction de toutes les formes de mines et d’engins explosifs, dans les zones habitées mais aussi dans les champs, afin que les populations civiles puissent accéder à nouveau à ces endroits sans danger.

Désert médical

Dans l’hôpital MSF de Mocha, les blessés de guerre arrivent quotidiennement des lignes de front entre Taïz et Hodeidah. 450 kilomètres séparent Hodeidah d’Aden, où MSF a ouvert un hôpital spécialisé en traumatologie en 2012. L’offre de soins est davantage développée à Aden mais reste inaccessible financièrement pour la plupart des Yéménites, qui peuvent rarement se payer le transport jusque-là.

Entre Hodeidah et Aden, il y a six à huit heures de route et un véritable désert médical pour les populations civiles. L’hôpital MSF de Mocha est la seule structure avec un bloc opératoire en capacité de dispenser des soins chirurgicaux aux civils dans cette zone.

« La côte entre Hodeidah et Aden est une zone rurale, très pauvre. Non seulement, les gens n’ont pas les moyens d’accéder aux soins, mais en plus ils n’ont aucun endroit où aller s’ils ont besoin d’une opération, hormis notre hôpital », explique Husni Abdallah, infirmier au bloc opératoire. « Les blessés de guerre arrivent souvent très tard à Mocha et dans des situations critiques, avec des infections car leur stabilisation sur la ligne de front n’est pas toujours bien faite. Les mines font des dégâts particulièrement sévères, on voit des fractures complexes, difficiles à opérer, et qui nécessitent souvent des amputations et de longs mois de rééducation ».  

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