Vaccin COVID-19: les gouvernements doivent exiger la transparence des sociétés pharmaceutiques sur tous les accords de licence
Au vu des termes d’un accord révélés récemment, nous ne pouvons apparemment pas compter sur la bonne volonté de l'industrie pharmaceutique, même en cas de pandémie.
«Après que les gouvernements aient investi massivement dans le développement et la production de vaccins Covid-19, il est crucial que des informations vitales sur la commercialisation de ces vaccins soient rendues publiques», déclare Dimitri Eynikel, conseiller européen de la campagne d'accès de MSF (pour un accès aux médicaments). «Les accords de licence déterminent qui peut fabriquer les vaccins dans le monde entier et dans quelles conditions, ils peuvent contenir des informations sur le prix facturé pour les vaccins et sur quoi il était basé. Janssen Pharmaceutica (Johnson & Johnson) a récemment signé un accord avec un producteur en Afrique du Sud. Il est important de connaître les détails de ces accords pour savoir s'ils améliorent réellement l'accès et l'accessibilité des vaccins ou s'ils servent principalement les intérêts commerciaux des entreprises. L'accord entre le Brésilien Fiocruz et AstraZenaca montre déjà que ce que l'entreprise proclame publiquement est incompatible avec la façon dont elle essaie de vendre le vaccin.»
Après que les termes inquiétants d'un accord conclu entre la société pharmaceutique AstraZeneca et l'organisme public de recherche brésilien Fundação Oswaldo Cruz (Fiocruz) ont été révélés récemment, Médecins Sans Frontières (MSF) a appelé les gouvernements à exiger urgemment des sociétés pharmaceutiques qu’elles soient transparentes sur tous les accords de licence pour les vaccins contre le COVID-19, ainsi que sur les coûts et les données des essais cliniques, surtout si l'on considère les milliards de dollars venant de l'argent public et des contribuables qui ont été consacrés au développement de ces vaccins potentiels.
Fiocruz a fait un pas important vers plus de transparence en publiant en ligne l'accord de licence conclu avec la société pharmaceutique AstraZeneca pour la production d'au moins 100 millions de doses de vaccins (AZD1222). Bien que l'accord ait été publié sous forme expurgée, cette publication devrait encourager d'autres gouvernements à suivre cet exemple et à prendre des mesures pour plus de transparence. Un accord précédent a montré qu'il y a des limites aux engagements publics « non lucratifs » d'AstraZeneca, et que la société s'est donné le pouvoir de déclarer la fin de la pandémie, dès juillet 2021. Cela signifie qu'après juillet 2021, AstraZeneca pourrait faire payer aux gouvernements et autres acheteurs des prix élevés pour un vaccin entièrement financé par de l’argent public. La licence exclusive initiale entre AstraZeneca et l'université d'Oxford n'a toujours pas été rendue publique, alors que les termes de cette licence déterminent largement les termes des accords ultérieurs de la société avec d'autres fabricants de vaccins dans le monde.
Les personnes ayant eu connaissance de la licence d’AstraZeneca-Oxford ont remis en question l'engagement « non lucratif » d'AstraZeneca, affirmant que cette dernière pouvait facturer jusqu'à 20% de plus que les coûts associés à la production du vaccin. Outre l'accord avec Fiocruz, des sous-licences avec d'autres fabricants en Afrique du Sud, en Inde et dans d'autres pays n'ont pas encore été divulguées. Or, l'examen public des termes de ces accords est essentiel pour garantir un accès équitable et abordable à ces futurs vaccins pouvant sauver des vies.
Difficile de faire confiance à l'industrie pharmaceutique
Les sociétés pharmaceutiques montrent un très mauvais bilan en matière de transparence– tant au niveau des accords de licence et des transferts de technologie qu’au niveau des coûts de recherche et développement, ou encore concernant les données des essais cliniques - et le peu d'informations qui ont été révélées au sujet des promesses à but non lucratif d'AstraZeneca devrait être un signe d'avertissement que l'on ne peut pas faire confiance à l’industrie pharmaceutique pour agir dans l'intérêt de la santé publique.
« Tant que nous ne saurons pas ce que contiennent ces accords, l'industrie pharmaceutique continuera à détenir le pouvoir de décider qui obtient l'accès, quand et à quel prix », a déclaré Kate Elder, conseillère principale sur les politiques en matière de vaccins dans le cadre de l’Access Campaign de MSF. « Sans une action décisive des gouvernements exigeant plus de transparence de la part des entreprises, l'accès équitable aux vaccins contre le COVID-19 est menacé. Le public a le droit de savoir ce que contiennent ces accords. Il n'y a pas de place pour les secrets pendant une pandémie, l'enjeu est trop important. »
Pour un certain nombre d'autres entreprises en compétition pour le développement de vaccins contre le COVID-19, leurs accords de licence restent eux aussi secrets, malgré des niveaux de financement public sans précédent. Plus de 12 milliards de dollars US ont été consacrés à la recherche et au développement, aux essais cliniques et à la fabrication de six premiers vaccins candidats mis au point par AstraZeneca/Oxford University (plus d'1,7 milliard de dollars), Johnson&Johnson/BiologicalE (1,5 milliard de dollars), Pfizer/BioNTech (2,5 milliards de dollars), GlaxoSmithKline/Sanofi Pasteur (2,1 milliards de dollars), Novavax/Serum Institute of India (près de 2 milliards de dollars) et Moderna/Lonza (2,48 milliards de dollars). AstraZeneca est allée jusqu'à déclarer à plusieurs reprises que le développement du vaccin n'aura aucune implication financière pour la société puisque « les dépenses pour faire progresser le vaccin devraient être compensées par le financement des gouvernements et des organisations internationales.
Divulguer le coût et données des essais cliniques
MSF a également exhorté les développeurs du vaccin contre le COVID-19 à divulguer les coûts et les données des essais cliniques. Sans ces informations, il est impossible pour le public, les fournisseurs de traitements et les gouvernements d'exiger des prix abordables et d'examiner les données critiques de sécurité et d'efficacité. Étant donné que les coûts de recherche et de développement, ainsi que ceux de fabrication, ont été largement - ou entièrement, dans le cas d'AstraZeneca et de Moderna - compensés par des contributions publiques, le public mérite de connaitre la répartition de ces coûts et données.
Les gouvernements doivent faire preuve d'audace
« Malgré les assurances répétées des chefs d'État que tout vaccin contre le COVID-19 sera un bien public mondial, et malgré les affirmations selon lesquelles l'industrie pharmaceutique agit de la meilleure manière possible, la réalité est que, jusqu'à présent, on ne peut pas faire confiance à cette industrie pour agir dans l'intérêt de la santé publique, même en ces temps sans précédent », a déclaré Roz Scourse, conseillère politique dans le cadre de l’Access Campaign de MSF. « Malgré les milliards de dollars d'argent public et d'argent venant des contribuables dépensés pour payer ces vaccins, et malgré les milliards de vies en jeu, nous continuons à être laissés dans l'ignorance et le brouillard, alors que nous avons besoin de déterminer des informations cruciales telles que le prix et l'approvisionnement de tout futur vaccin contre le COVID-19, et ce, en vue d’en avoir un accès équitable ».
Pour la santé de milliards de personnes, les gouvernements doivent faire preuve d'audace. Ils doivent assumer leur responsabilité quant aux milliards de dollars publics qu'ils ont donnés pour ces vaccins, et exiger que les sociétés pharmaceutiques rendent publics de toute urgence toutes les licences, les accords, les coûts des essais cliniques et les données relatives aux vaccins contre le COVID-19.