Un nouveau rapport de MSF revient sur les effets néfastes de dix ans d’externalisation des frontières européennes
Un nouveau rapport de MSF intitulé "Fortress In The Sand" démontre que les accords passés par l’Union européenne avec des pays-tiers dans le but de limiter l’arrivée d’exilés sur son sol ont rendu les routes migratoires plus longues et dangereuses, entrainant ainsi la mort de milliers de personnes.

Rapport complet et résumé en fin de communiqué
En septembre 2015, la photo d’un garçon de trois ans, Alan Kurdi, mort noyé et retrouvé sur une plage de Turquie, suscitait l’émotion et soulevait la question de l’accueil des personnes fuyant la guerre civile en Syrie. Très rapidement pourtant, en mars 2016, l’Union européenne conclura un accord avec la Turquie dans le but de limiter les arrivées sur son sol, en échange de 6 milliards d’euros.
Des partenariats aux conséquences tragiques
Si cet accord « d’externalisation des frontières » n’est pas le premier de ce type (après l’accord « d’amitié » entre l’Italie et la Libye en 2008 et le processus de Khartoum pour la Corne de l’Afrique en 2014), il marque néanmoins le début d’une accélération massive des partenariats en ce sens, qui se poursuit encore à ce jour.
« L’Union européenne considère que ces partenariats, noués autant avec des pays de départ que de pays de transit, sont un succès au regard du nombre de personnes qui arrivent sur son territoire par une route donnée. Mais ce que ses représentants occultent ce sont les conséquences humaines tragiques qui en découlent - des milliers de morts et des ravages sur la santé physique et mentale des personnes, forcées d’emprunter constamment de nouvelles routes plus dangereuses pour éviter les blocages » explique Jérôme Tubiana, conseiller opérationnel de MSF sur les questions migratoires.
À la suite de la signature d’un accord conclu avec la Libye en 2017, et dans un contexte d’augmentation des entraves au sauvetage en Méditerranée centrale, les arrivées en provenance de ce pays, sont passées de 165 000 personnes en 2016 à 7 000 en 2019. Elles ont toutefois réaugmenté dès l’année suivante et se sont stabilisées, depuis 2021, autour de 40 à 50.000 personnes environ par an, et ce en dépit de l’augmentation du soutien matériel et financier européen aux garde-côtes libyens. Mais surtout, ce sont 157 000 personnes migrantes qui sont arrivées en Italie en 2023, tous pays de départ confondus, un chiffre proche du pic de 2016, qui s'explique par le déplacement des départs de la Libye vers la Tunisie. Un nombre croissant de personnes tente aussi dorénavant la traversée périlleuse par l’Atlantique en direction des îles Canaries.
Conséquence de ces blocages et de l’allongement des routes, des milliers de personnes y perdent la vie chaque année. Entre 2015 et septembre 2025, 27 000 personnes au moins ont perdu la vie noyées en Méditerranée, dont plus de 20 000 en Méditerranée centrale, d’après l’Organisation Mondiale pour les Migrations. De façon générale, alors que le taux d'interceptions par les garde-côtes libyens a fortement augmenté, passant de 12 à 50 % entre 2017 et 2019, le taux de mortalité en mer est passé de 2 à 7 %. De même, au Niger, les décès de migrants ont été multipliés par cinq entre 2016 et 2017, lorsqu'une loi inspirée par l'Union Européenne et criminalisant le transport de migrants a été appliquée.
Droits humains baffoués
« Les partenariats avec des Etats situés en dehors de l’UE se sont multipliés au cours des dix dernières années au gré des nouvelles routes empruntées par les exilés, sans considération pour les droits humains, et parfois même alors que les gouvernements partenaires se rendent coupables ou complices de violences à l’encontre des exilés » explique Jérôme Tubiana. « Les changements d'itinéraires n’ont constitué qu’une justification supplémentaire pour l'UE de poursuivre sans relâche ses politiques d'externalisation avec de nouveaux pays partenaires, dans un cercle vicieux meurtrier, et de compléter ainsi son blocus. »
De fait, le partenariat établi depuis 2017 avec un gouvernement libyen, reconnu internationalement mais ne contrôlant qu’une partie du territoire du pays, a entrainé une augmentation du nombre d’interceptions de personnes en mer (une sur trois aujourd’hui). Il a également contribué à faire de la détention des personnes migrantes une économie d'exploitation lucrative pour de nombreuses milices. Pour fuir cette insécurité, les personnes exilées en Libye ont, faute de voies de sorties sûres et légales suffisantes, non seulement continué de tenter la traversée par la mer au départ de la Libye mais aussi de façon croissante, depuis la Tunisie, jusqu’à ce qu’un accord soit conclu avec ce pays en 2023, alors même qu’il était en proie à des violences de masse contre les migrants subsahariens.
Les politiques européennes ont également un impact sur les pays avec lesquels ils sont signés. Au Niger, les politiques migratoires mises en œuvre en accord avec l'UE étaient très impopulaires et ont fragilisé le gouvernement signataire de Mohammed Bazoum, avant qu'il ne soit remplacé en juillet 2023. Les nouvelles autorités ont rapidement abrogé le partenariat.
Dans plusieurs pays de départ, sur les routes migratoires ou à leur arrivée en Europe, MSF est témoin des conséquences de la politique d’externalisation des frontières sur la santé et la vie des personnes migrantes.
Il est urgent de suspendre ou d’abandonner les accords existants en matière de gestion des migrations et de contrôle des frontières dans des pays tiers, dès lors qu'ils ne garantissent pas un principe de précaution suffisant, le respect des droits humains et la protection de toutes les personnes migrantes, quel que soit leur statut juridique. Des mécanismes renforcés de suivi et d’évaluation, réguliers, financièrement indépendants, transparents et contraignants doivent être mise en place afin de garantir le respect des droits de personnes.
Résumé du rapport
Rapport MSF - "Fortress in the sand" Résumé FR.pdf
PDF 1.7 MB
Rapport Complet (ENG)
Rapport MSF - "Fortress In The Sand".pdf
PDF 14 MB




Quentin Barrea