Naufrage au large des côtes libyennes
Réfugiés et migrants condamnés à se noyer en mer ou à être enfermés en Libye
Plus d’une centaine de personnes seraient mortes dans un naufrage au large des côtes libyennes la semaine dernière, d’après les déclarations de rescapés aux équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) qui travaillent en Libye. Un groupe de 276 personnes, dont les rescapés du naufrage, a été amené par des garde-côtes libyens à Khoms, une ville située sur la côte à 120 kilomètres à l’est de Tripoli, le dimanche 2 septembre. MSF est intervenu pour fournir une assistance médicale d’urgence après leur débarquement.
Des soins médicaux vitaux
MSF a pris en charge des personnes qui souffraient de brûlures chimiques causées par le contact avec les fuites de carburant du moteur. « Notre équipe médicale a travaillé plusieurs heures d’affilée pour soigner les rescapés dont l’état médical était le plus critique, explique Jai Defranciscis, infirmière MSF basée à Misrata, au nord-ouest de la Libye. « On a pu s’occuper de 18 urgences médicales, dont 9 personnes avec de graves brûlures chimiques (jusqu’à 75% du corps). On a organisé le transfert vers
l’hôpital d’une personne dans un état particulièrement critique : sans un accès rapide à des soins intensifs en milieu hospitalier, cette personne serait probablement morte. »
Après être débarqués à terre, le groupe a été amené dans un centre de détention sous le contrôle des autorités libyennes. C’est le processus habituel pour les personnes dont les embarcations sont interceptées en mer Méditerranée, et qui sont ramenées sur la côte libyenne où elles sont envoyées dans un dangereux système de détention arbitraire. Entre le 1er janvier et le 30 aout 2018, les garde-côtes libyens soutenus par l’Union Européenne ont intercepté en mer et ramené 13 185 réfugiés et migrants.
Dans le cadre de ses activités dans les centres de détention de cette région, MSF a suivi ces réfugiés et migrants en consultation une fois qu’ils étaient détenus. Il y avait parmi eux des femmes enceintes, des enfants et des bébés, des grands brûlés et des personnes avec de graves problèmes de santé. Six autres transferts vers un hôpital ont été organisés par MSF.
Souffrant, traumatisés, et sans autre alternative que la détention arbitraire
“Nous sommes extrêmement inquiets pour nos patients: comment peuvent-ils guérir en étant enfermés dans des cellules, dans des conditions d’hygiène très précaires, et en dormant sur des couvertures ou des matelas posés à même le sol ? Dormir ainsi cause une douleur inimaginable pour les grands brûlés. Certains ne peuvent ni s’asseoir ni marcher” poursuit Jay Defranciscis. “Nos équipes commencent à voir des patients développer de graves infections respiratoires, des pneumonies par exemple, après les heures passées à se débattre dans l’eau.” L'accès limité des détenus à de l’eau potable et à une alimentation adéquate peut ralentir ou empêcher leur guérison et aggraver au contraire leur état de santé.
De nombreux rescapés font le deuil de proches perdus lors du naufrage. Ils viennent de vivre un épisode particulièrement traumatisant en mer, qui vient s’ajouter à tous les dangers affrontés lors de leur parcours en Libye. Au lieu de recevoir l’assistance dont ils ont besoin, ces réfugiés et migrants sont arrêtés et détenus dans des conditions de vie déplorables, sans aucun garde-fou, sans recours ni alternatives légales.
Parmi les détenus, MSF a rencontré des demandeurs d’asile et des réfugiés qui ont été enregistrés ou reconnus par le HCR en Libye ou dans un autre pays. Leurs perspectives sont particulièrement sombres : le mécanisme géré par le HCR pour les évacuer depuis la Libye vers le Niger et les réinstaller dans un pays tiers, lancé dans la foulée de l’indignation globale générée par les images de CNN l’année dernière, est à l’arrêt depuis des mois. Les demandeurs d’asile et réfugiés en Libye font ainsi désormais face à une détention arbitraire prolongée et sont exposés au risque du trafic humain, les réseaux criminels étant bien souvent la seule option disponible pour les personnes qui continuent leur parcours en quête de sécurité.
Les violents combats qui ont éclaté à Tripoli le 26 aout ont également joué un rôle déterminant dans la fuite d’une partie des personnes qui étaient à bord de ces canots ayant pris la mer le 1er septembre.