L’impossible tâche d'acheminer des fournitures vitales à Gaza

L’impossible tâche d'acheminer des fournitures vitales à Gaza

Les autorités israéliennes entravent, retardent et restreignent l'aide humanitaire ainsi que les fournitures médicales essentielles. Lettre ouverte de Mari Carmen Viñoles, responsable des programmes d'urgence de Médecins Sans Frontières (MSF)

Un concentrateur d'oxygène est un dispositif médical qui filtre l'azote dans l'air pour fournir de l'oxygène purifié aux patients. Pour les enfants malnutris souffrant d'anémie sévère, les blessés ayant perdu beaucoup de sang et les nouveau-nés ayant des difficultés respiratoires, cet appareil peut faire la différence entre la vie et la mort.

Mais bien qu’il soit essentiel à la survie de nos patients, nous ignorons si et quand un concentrateur d'oxygène parviendra à un des hôpitaux de Gaza.

Les autorités israéliennes, qui contrôlent totalement les points d'entrée et de sortie de Gaza, ont à maintes reprises refusé les demandes de MSF pour fournir du matériel biomédical tel qu'un concentrateur d'oxygène. Lorsqu'une demande a été approuvée, les interminables procédures d'inspection à la frontière ont abouti au même résultat au cours des 6 mois qui se sont écoulés depuis le début de la guerre.

Sans ce simple appareil, nos équipes médicales à Gaza sont contraintes de voir leurs patients mourir de causes parfaitement évitables.

Voyons comment se déroule le processus d'acheminement de l'aide à Gaza. À leur arrivée à l'aéroport égyptien d'Al-Arish, les fournitures humanitaires sont chargées dans des camions et acheminées vers les entrepôts du Croissant-Rouge égyptien, où elles sont inspectées par les autorités égyptiennes. Après inspection, elles sont à nouveau chargées dans des camions et conduites au poste frontière de Rafah. Cette première étape prend généralement cinq à dix jours.

À Rafah, tous les camions sont scannés, puis conduits jusqu'à un point de contrôle israélien situé à une cinquantaine de kilomètres au sud, à Nitzana, où les fournitures sont déballées, chargées sur des palettes spéciales pour passer dans le scanner, et scannées à nouveau. Le convoi retourne ensuite à Rafah, où les fournitures approuvées par les autorités israéliennes sont déchargées des camions égyptiens sur des camions palestiniens pour entrer dans la bande de Gaza. Cette étape peut prendre des semaines.

Il s'écoule en moyenne quatre à cinq semaines entre le moment où une cargaison arrive sur le territoire égyptien et celui où elle entre à Gaza. Si un seul article d'une cargaison est rejeté à Nitzana, la cargaison entière est rejetée et renvoyée à Rafah, où le long processus recommence.

En novembre 2023, nous avons demandé à Israël d'introduire des réfrigérateurs et des congélateurs à Gaza. Ces appareils sont indispensables pour conserver les médicaments et les vaccins qui nécessitent des températures basses, comme l'insuline pour le diabète, l'ocytocine pour réduire les hémorragies post-partum et le suxaméthonium, utilisé en anesthésie pour induire une paralysie musculaire. Ce n'est qu'en avril, soit cinq mois plus tard, que la demande a été approuvée. Si tout se passe bien, les réfrigérateurs et les congélateurs arriveront à Gaza ce mois-ci.

Ce ne sont pas les seuls articles essentiels en attente. Nous attendons toujours l'autorisation d'apporter des générateurs, des bouteilles d'oxygène, des échographes, des défibrillateurs externes, des solutions intraveineuses de chlorure de sodium, indispensables pour réhydrater les patients et diluer les médicaments... La liste est aussi longue qu'alarmante.

Nous n'avons reçu aucune réponse d'Israël à la suite d’une demande faite il y a plusieurs mois pour l'envoi d'équipements solaires essentiels, y compris des systèmes électriques pour les installations médicales, des pompes à eau et des systèmes de désalinisation de l'eau. Les systèmes de télécommunications par satellite et les véhicules de MSF - essentiels pour assurer la sécurité de nos équipes et leur permettre de se rendre là où elles sont nécessaires - ont également été refusés, restreints ou sérieusement retardés.

Les autorités israéliennes ont affirmé sur X le 3 mars que « Il n'y a pas de limite à la quantité d'aide humanitaire qui peut entrer dans la bande de Gaza ». Cette affirmation est en totale contradiction avec la réalité. Le 26 janvier, puis le 28 mars, la Cour internationale de justice a appelé Israël à prendre « toutes les mesures nécessaires et efficaces » pour garantir la fourniture sans entrave des « services de base et de l'aide humanitaire dont le besoin est urgent, tels que l'eau, l'électricité, le carburant et les fournitures médicales ».

Ce qui est autorisé à entrer dans la bande de Gaza n'est ni clair ni cohérent. Parfois, les organisations humanitaires peuvent faire entrer certains articles, parfois non. Parfois, une cargaison entière est rejetée à cause d'un seul article, mais les raisons ne nous sont pas communiquées, ce qui rend impossible, par conséquent, l'adaptation des futures cargaisons.

Jusqu'à présent, MSF a réussi à faire entrer à Gaza six cargaisons de 120 mètres cubes de fournitures essentielles, transportées dans 53 camions. Nous aimerions en acheminer beaucoup plus, mais nous en avons été empêchés par le processus complexe imposé par les autorités israéliennes.

Avant la guerre actuelle, on estime que 500 camions de fournitures entraient chaque jour dans la bande de Gaza ; en février 2024, ce chiffre était tombé à moins de 100 camions par jour.

Les graves pénuries de produits de première nécessité à Gaza sont exacerbées par le fait que seuls deux points de passage sont ouverts : Rafah et Kerem Shalom, tous deux situés au sud de la bande de Gaza. Peu de camions entrant dans le sud peuvent passer par les nombreux points de contrôle plus au nord en raison de l'insécurité ou du refus d'autorisation des autorités israéliennes. Par conséquent, très peu d'aide et de biens de première nécessité parviennent au nord de Gaza. Sans accès à cette zone, nous ne pouvons qu'imaginer l'ampleur de la crise humanitaire qui s'y déroule. Bien que les largages aériens et les couloirs maritimes aient été largement médiatisés, ils ont jusqu'à présent été peu nombreux et ne peuvent remplacer les voies terrestres.

En empêchant l'acheminement de l'aide à Gaza, on saborde son système de santé, qui ne peut répondre aux besoins de la population. C'est toute la population de Gaza qui en subit les conséquences, pas seulement les dizaines de milliers de blessés de guerre, mais aussi ceux qui ont d'autres besoins médicaux : malades chroniques, femmes enceintes souffrant de complications, enfants tombant malades à cause de maladies infectieuses liées aux conditions de vie déplorables auxquelles ils sont confrontés.

Privés d'accès aux soins médicaux, des milliers de vies ont été perdues et continueront de l'être. Ce sont les « meurtres silencieux » de Gaza, le résultat d'une privation délibérée.

Les derniers chiffres sur la situation

Selon l'OCHA (Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires) et les autorités locales :

  • Sur les 36 principaux hôpitaux qui desservaient plus de 2 millions d'habitants de Gaza, seuls 11 sont encore partiellement fonctionnels, avec des limitations sévères sur les types de services qu'ils peuvent fournir.
  • 490 travailleurs de la santé ont été tués depuis le 7 octobre, dont 5 de nos équipes MSF.
  • Plus de 1,9 million de personnes, soit plus de 85 % de la population totale de Gaza, ont dû fuir leur domicile.
  • Il y a plus de 77 000 blessés et très peu d'hôpitaux pour leur apporter les soins nécessaires. Parmi ces 77 000 personnes, des milliers de patients nécessitent des soins médicaux complexes et soutenus n'étant actuellement pas disponibles à Gaza.
Quentin Barrea Press Officer, Médecins Sans Frontières

 

A propos de MSF/AZG

Médecins Sans Frontières est une organisation médicale humanitaire d’urgence, active dans plus de 70 pays du monde.