Le choix de la violence : les politiques de l'UE privent les réfugiés et les migrants de sécurité et de protection, en encourageant la brutalité systématique
[Bruxelles, 21 février 2024] - Médecins Sans Frontières (MSF) publie aujourd’hui un rapport sur les effets dévastateurs des politiques migratoires européennes observés chez nos patients, de la Libye à la Biélorussie, de la Serbie à la Belgique. Basé sur les témoignages du personnel médical et des patients, plus de 20 000 consultations médicales d’urgence et de santé mentale aux frontières de l'UE, et plus de 8 400 personnes secourues en mer, le rapport intitulé Death, Despair and Destitution: the human costs of the EU’s migration policies met en lumière l'adoption choquante de tactiques violentes, approuvées par les politiques de l'Union européenne (UE) et les États membres, et encouragées par une rhétorique politique des dirigeants européens de plus en plus déshumanisante. La Belgique et sa politique de non-accueil est elle aussi pointée du doigt.
Lisez notre rapport (EN)
Death, despair and destitution
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Neuf années de présence continue de MSF le long des routes migratoires européennes nous ont permis de mieux comprendre l'ampleur et la gravité des violences infligées délibérément et sciemment aux personnes fuyant les conflits, la persécution et des conditions de vie désastreuses. Depuis 2014, à notre connaissance, 29 000 personnes sont mortes ou ont été portées disparues lors de la traversée de la Méditerranée, le nombre réel étant probablement bien plus élevé. Les récits des patients ayant vécu l'enfer des centres de détention libyens défient les pires cauchemars ; un cycle de violence terrifiante, d'abus et d'extorsion ; sanctionné par le soutien de l'UE aux garde-côtes libyens, qui renvoient les personnes interceptées en mer vers ces situations inhumaines, encore et encore. Nous entendons ces témoignages de patients en Libye, en Méditerranée centrale, mais aussi en Belgique. Parce qu’au-delà du cycle des infos internationales, au-delà de la Méditerranée centrale et des camps de réfugiés grecs - devenant de facto des centres de détention - l'accès aux services les plus élémentaires, qu'il s'agisse de soins de santé ou d'hébergement, reste un désastre quotidien.
Plus de 10.000 condamnations
En Belgique, des milliers de demandeurs d'asile se sont vu refuser l'accès aux conditions d'accueil auxquelles ils ont droit depuis des années, mais les solutions à cette crise politique restent lamentablement insuffisantes. Le gouvernement a été condamné plus de 8 000 fois par la justice belge et 2 000 fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour son incapacité à fournir aux demandeurs de protection internationale les conditions d'accueil auxquelles ils ont droit. Pourtant, rien n'a changé.
« Les équipes de MSF chargées des activités de sensibilisation et de santé mentale en Belgique sont confrontées quotidiennement à l'impact direct de la vie dans la rue sur la santé mentale et physique des personnes. Elles sont continuellement et de plus en plus submergées par la demande de soins et ne sont pas en mesure de répondre aux demandes de tant de patients, qui ont avant tout besoin d'un lieu d’hébergement sûr. Quel genre de soins en santé mentale pouvons-nous offrir à un patient que nous renvoyons délibérément dans les rues pluvieuses ou dans un squat insalubre après consultation ? Quel rôle une organisation humanitaire médicale peut-elle continuer à jouer pour les personnes sans papiers dont l'accès aux soins de santé est rendu infiniment compliqué dû à leur statut juridique ? Interroge Caroline Willemen, responsable des opérations de MSF en Belgique. « L'accueil chaleureux réservé, à juste titre, aux réfugiés ukrainiens a cruellement exposé la déshumanisation et le racisme profondément enracinés dans les choix politiques qui laissent littéralement les personnes venant de l'extérieur de l'Europe dans le froid. »
Violence administrative
Fort de la présence des équipes MSF le long des routes migratoires vers l’Europe, nous observons une normalisation des violences subies par ces populations, que ce soit dans leurs pays d’origine ou durant leurs parcours. Ceux qui ont la « chance » d’arriver en Belgique font face à une violence administrative s’ajoutant souvent à des années d'insécurité et de négligence. Le dernier épisode de ce cycle d'exclusion et de violence est la proposition de loi qui sera votée au Parlement cette semaine et qui autorise les examens médicaux forcés des personnes dans le cadre de leur expulsion du pays.
"La décision de favoriser des politiques de violence et de privation à l'égard des réfugiés et des migrants, au lieu de rechercher des solutions politiques humaines, devrait heurter la conscience collective. Au lieu de cela, nous assistons à une amplification et même une célébration de ces politiques inhumaines par les dirigeants de l'UE, dans des cris de ralliement politiques. Cela va à l'encontre des valeurs fondamentales que l'UE prétend défendre."- Julien Buha Collette, chef d'équipe opérationnelle MSF
L'UE et ses États membres doivent changer de cap de toute urgence. Il est essentiel d'adopter des solutions concrètes face à la situation actuelle, plutôt que de considérer les migrants et les réfugiés uniquement à travers le prisme sécuritaire, contribuant ainsi à leur déshumanisation. Un changement urgent et fondamental est nécessaire pour s'attaquer aux causes sous-jacentes des déplacements de population, qui ont trop longtemps entraîné des pertes de vie insensées, des blessures et des traumatismes durables chez ceux qui cherchent sécurité et protection aux frontières et au sein même de l'UE.
Témoignage vidéo de notre experte Caroline Willemen, disponible pour interview