La politique de la peur: Guidée par la peur, la réponse à l’épidémie d’Ebola a causé morts et souffrances inutiles en Afrique de l’Ouest
La politique de la peur
Guidée par la peur, la réponse à l’épidémie d’Ebola a causé morts et souffrances inutiles en Afrique de l’Ouest, révèle un nouveau livre de MSF
BRUXELLES, 20 février 2017- Dans un nouveau livre publié aujourd’hui, Médecins Sans Frontières (MSF) affirme que la réponse à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-2016 a été guidée par la peur plutôt que par des priorités médicales. La politique de la peur (Ed. La Renaissance du Livre) met en lumière la façon dont les patients et leurs soins n’ont pas été assez priorisés tandis que les gouvernements et organisations soutenant la réponse favorisaient la sécurité et le confinement, au détriment de la solidarité. Alors que la désinformation, la panique et l’isolement ont prédominé dans la réponse initiale à Ebola, la façon dont les prochaines épidémies seront gérées reste floue.
Ecrit par des auteurs MSF et non-MSF, le livre collecte des impressions critiques et exhaustives sur l’apparition rapide de l’épidémie, sa propagation incontrôlable et les défis auxquels la communauté mondiale de la santé a fait face dans sa réponse. Il procure un récit raconté au travers de disciplines variées (sciences politiques, anthropologie, médecine clinique, bioéthique, histoire…) de l’urgence sanitaire la plus dévastatrice de ces dernières années. Des problèmes complexes tels que le contrôle de la peur, les questions éthiques sur la quarantaine, les médicaments expérimentaux et la tension entre la qualité et la quantité des soins, sont passés en revue dans ce compte-rendu approfondi.
Le livre expose comment un grand nombre de morts auraient pu être évitées si la communauté sanitaire internationale avait agi plus rapidement et plus fortement. L’Ebola a en effet révélé la fragilité des autorités sanitaires - y compris celle de MSF - qui laisse chacun avec une part de blâme. La politique de la peur est une étape pour mieux comprendre les épidémies du passé afin de mieux répondre aux épidémies du futur.
Désireuse d’avoir une lecture plus politique de l’épidémie ainsi que de son propre rôle, MSF a ouvert ses archives à des chercheurs externes pour permettre une critique objective de la crise. Le livre passe ainsi en revue l’appel inédit de MSF à une intervention de moyens militaires, l’équilibre difficile entre la qualité et la quantité des soins dans une période où des patients mourraient aux portes des centres de traitement et l’engagement de l’organisation dans son choix pour des tests de médicaments expérimentaux disponibles pour un déploiement immédiat plutôt que pour des tests de médicaments plus lents mais qui avaient une plus grande probabilité de succès. Au fil des pages, on découvre également des témoignages, dont l’un sur le cas controversé du Dr. Khan, un médecin sierra-léonais respecté, contaminé par le virus et qui a perdu la vie sans avoir été mis au courant de l’existence d’un traitement expérimental disponible.
« Ce livre ne consiste pas à dire ce qui est bien ou mal, mais à poser des questions difficiles sur la réponse à l’épidémie qui demandait souvent un équilibre immédiat entre des options imparfaites dans une situation impossible, », explique le co-éditeur Michiel Hoffman, conseiller humanitaire chez MSF. « Certaines trouvent des réponses pendant que d’autres entraînent de nouvelles questions à propos d’une épidémie qualifiée universellement de « sans précédent ». »
Enfin, le livre soulève de nombreuses questions qui demeurent ouvertes en ce qui concerne la capacité à répondre de façon adéquate à la prochaine épidémie :
« Si nous avons une épidémie demain, il est difficile de dire qui interviendrait » déplore le Dr. Armand Sprecher, expert MSF et contributeur à l’ouvrage. « Il en va de même pour les traitements expérimentaux que l’on utiliserait, sur qui et, de façon plus critique, qui prendrait ces décisions cruciales. »
L’épidémie d’Ebola et l’intervention de MSF
Le 21 mars 2014, l’épidémie d’Ebola était déclarée en Guinée, en Afrique de l’Ouest. Le 31 mars 2014, le Liberia, pays voisin, indiquait officiellement qu’il était aussi frappé par l’épidémie. La Sierra Leone a suivi le 26 mai 2014. Jusqu’alors, le virus n’avait jamais sévi dans cette région et a pris tout le monde par surprise : la population locale, les autorités des pays touchés et les experts sanitaires. L’épidémie est ainsi devenue la plus vaste et la plus mortelle jamais enregistrée.
Médecins Sans Frontières s’est employée à apporter son aide dès le mois de mars 2014. Cependant, l’épidémie s’est tellement propagée que l’organisation ne pouvait plus l’endiguer seule. Elle a donc tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Mais le monde a tardé à réagir. Il a fallu attendre l’automne 2014 – et que des patients occidentaux contractent aussi le virus – pour que la communauté internationale s’implique réellement dans la riposte. Malgré tous les efforts déployés, l’épidémie n’a été totalement enrayée qu’en mars 2016.
Officiellement, 28 646 personnes ont été infectées et 11 323 ont perdu la vie. Mais ces chiffres sont probablement sous-évalués et ne tiennent pas compte des victimes indirectes. En effet, Ebola a paralysé tout le système de soins de santé et a ainsi permis à d’autres maladies, comme le paludisme, de faire de nouvelles victimes.
Médecins Sans Frontières a mis en place des cliniques Ebola à onze endroits différents, dans les trois pays les plus touchés. Elle a formé des dizaines de travailleurs dans autres organisations et des centaines de collaborateurs MSF supplémentaires. Elle a fourni des conseils techniques aux gouvernements et contribué à des études cliniques visant à trouver des médicaments et un vaccin contre la maladie.