La fin du sida? C'est possible. Mais pas sans un nouvel élan de solidarité, d'égalité, de préventions et de soins abordables

La riposte mondiale au VIH se trouve à un tournant décisif. Les avancées médicales contre le VIH et le sida sont tout simplement révolutionnaires, mais elles doivent être mises en pratique et appliquées plus largement. Des obstacles systémiques retardent l'accès aux soins et à la prévention du VIH et du sida, alors que près de 40 millions de personnes vivent avec le virus. Si l'on ajoute à cela la baisse des financements internationaux et les conséquences de la pandémie de grippe aviaire, on comprend pourquoi la lutte contre le VIH et le sida est soumise à de fortes pressions. Médecins sans frontières constate déjà les conséquences d'une mobilisation réduite dans les pays où nous travaillons. En cette journée mondiale de lutte contre le sida, MSF appelle à un soutien à l'égalité d'accès aux soins de santé, à la garantie des droits de l'homme et à des soins adaptés et respectueux des patients, capables de faire face à des crises cumulées telles que l'instabilité politique, les conflits, les épidémies et le changement climatique. Elle demande également du courage politique pour ne pas réduire les financements internationaux.

Patient examiné dans notre Rapid Assessment Unit (RAU) à l'hôpital du district de Nsanje, Malawi. ©Isabel Corthier/MSF
Patient examiné dans notre Rapid Assessment Unit (RAU) à l'hôpital du district de Nsanje, Malawi. ©Isabel Corthier/MSF

Il faut se rendre à l'évidence : les traitements contre le virus VIH et le sida progressent à l'échelle mondiale. Aujourd'hui, au lieu de 30 pilules par jour, une personne porteuse du virus VIH ne doit prendre qu'une pilule par jour. Nous pouvons également mieux prévenir la maladie: il existe déjà des injections qui protègent les groupes à haut risque pendant deux mois (cabotegravir à action prolongée) et une nouvelle injection prometteuse en cours de développement qui offre une protection allant jusqu'à six mois (lenacapavir). Mais nous ne devons en aucun cas nous reposer sur nos lauriers: lorsqu'il s'agit du VIH, rester immobile, c'est littéralement reculer. Et le sida reste l'une des trois maladies les plus meurtrières dans le monde aujourd'hui.

Quels sont les défis à relever dans la lutte contre le VIH et le sida ?

Les statistiques mondiales semblent indiquer de grandes réussites. Mais ces moyennes globales masquent les grands déficits dans certaines régions et parmi certaines populations, observés par MSF observe dans nos projets de lutte contre le VIH/SIDA à travers le monde. Les gens se font soigner trop tard ou ne se font pas soigner du tout. Comment cela se fait-il ?

Tout d'abord, il existe des lacunes importantes au sein des populations vulnérables. La sensibilisation et l'accès à des mesures préventives telles que la prophylaxie pré-expositionnelle (PrEP) restent trop limités, en particulier dans les contextes où les ressources sont restreintes. Les groupes marginalisés - par exemple, les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, les transsexuels et les travailleur.euse.s du sexe - sont également confrontés à la criminalisation et à la discrimination systémique, ce qui les tient à l'écart des services essentiels et les rend encore plus vulnérables. Et trop souvent encore, les barrières et les déficits des systèmes de santé entraînent des lenteurs de mise en route ou des interruptions de traitements appropriés. Les équipes de MSF constatent déjà que le manque de diagnostics, de médicaments ou d'autres ressources entraîne l'exclusion et de moins bons résultats.

Ces pénuries et ces lacunes sont multipliées lors de ce qu’on appelle les polycrises. De nombreux pays sont confrontés à une accumulation de crises qui ébranlent les systèmes de santé dans leurs fondements ou les sapent carrément. Alors que ces pays luttent encore contre les conséquences de la crise du covid – ayant fait des ravages dans des systèmes de santé stables - des conflits, des inondations et d'autres catastrophes naturelles se produisent également. Ces polycrises perturbent de manière répétée les soins liés au VIH, privant les personnes d'une prévention ou d'un traitement qui leur sauverait la vie. Et comme pour les antibiotiques, un traitement interrompu ou de mauvaise qualité peut entraîner une résistance accrue. Mais comment obtenir les médicaments dont vous avez besoin lorsque des bombes vous tombent sur la tête, que le sol tremble, que l'eau vous arrive jusqu’au nez, ou tout à la fois ?

Obstacles financiers

Ensemble, la stigmatisation persistante, les obstacles politiques, l'inégalité entre les sexes et les polycrises créent une concentré d'inaccessibilité. Malheureusement, cela ne s'arrête pas là.

Même le déclin actuel du financement international se traduit déjà par un accès réduit pour les patients, en particulier parmi les groupes cibles les plus vulnérables que nous avons mentionnés plus haut. Les lacunes que nous avons péniblement comblées réapparaissent au fur et à mesure que les efforts internationaux diminuent. Malheureusement, les approches les plus novatrices souffrent souvent d'un manque d'argent ; les innovations visant à rapprocher le traitement du patient sont abandonnées. Les patients doivent également payer davantage de leur poche pour les soins nécessaires, ce qui fait que les traitements ne commencent pas à temps ou sont interrompus. ​ ​

Et lorsque les patients parviennent à accéder aux soins, les traitements sont souvent impayables. Le lenacapavir, par exemple, LA grande avancée à venir, sera proposé à 40 000 dollars par an et par patient, alors que les estimations de fabrication montrent qu'il pourrait en fait coûter 40 dollars par an et par patient. Même le cabotégravir à longue durée d'action, avec son prix plus modeste de 180 dollars par an et par utilisateur, reste financièrement inaccessible dans de nombreux pays à faible revenu.

Exemple de médication quotidienne pour une personne vivant avec le VIH. ©Michel Lunanga/MSF
Exemple de médication quotidienne pour une personne vivant avec le VIH. ©Michel Lunanga/MSF

Politique de l’autruche ou approche globale efficace ?

Les défis ne sont pas particulièrement nouveaux. Et nous savons comment les relever. Mais ils nécessitent une volonté politique soutenue et un soutien international.

Le leadership européen a un rôle crucial à jouer. Grâce à des mécanismes tels que le Fonds mondial, l'Europe a été l'un des principaux moteurs des progrès mondiaux dans la lutte contre le VIH/sida. Si ces contributions diminuent aujourd'hui, les progrès réalisés au cours des dernières décennies fondront comme neige au soleil.

Par le biais du Fonds mondial, la Belgique peut également faire la différence. En tant que quinzième donateur du Fonds, nous devons absolument maintenir notre contribution, tout en exhortant les autres États membres à soutenir efficacement et pleinement le Fonds mondial. De nombreux pays se sont engagés dans la lutte contre le VIH et le sida, réalisant ainsi d'énormes progrès. Mais la communauté internationale doit continuer à prendre cet engagement au sérieux, faute de quoi nous perdrons tous les progrès pour lesquels nous avons travaillé si dur. L'engagement international pris pour lutter contre l'épidémie de VIH reste crucial et il est de notre responsabilité de ne pas l'interrompre ou le réduire prématurément.

L'objectif est réalisable, mais pas sans volonté politique.

La réalisation des objectifs de l'ONUSIDA - mettre fin au VIH/sida en tant que menace pour la santé publique d'ici à 2030 - se trouve dans une situation critique et dépend d'un engagement politique concret. En ces temps difficiles, nous devons investir sur base des avantages tangibles obtenus et en collaboration avec la société civile, les communautés et les patients eux-mêmes. ​ La stratégie ne peut se limiter à maintenir des résultats à long terme : aujourd'hui, il est urgent de redoubler d'efforts contre le virus VIH, sans quoi nous n'atteindrons pas l’objectif 2030. De plus, l'expérience covid-19 montre la fragilité des résultats obtenus. La diminution du nombre de malades graves et de morts observée aujourd'hui pourrait rapidement s'inverser si les efforts se relâchaient.

Mettre fin au VIH et au sida n'est pas seulement un impératif moral, c'est aussi un objectif réalisable. En nous attaquant aux obstacles systémiques, en encourageant l'innovation et en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte, nous pouvons transformer l'approche mondiale du VIH/sida. Le temps de l'action est venu. Les dirigeants politiques doivent saisir l'occasion et donner la priorité au soutien des droits de l'homme, à l'accès et à l'équité à des soins optimaux, à la mise en œuvre d'innovations révolutionnaires, afin de créer un avenir où le VIH/sida ne sera plus une crise sanitaire mondiale. Cet engagement politique sera testé pour la première fois en 2025, lors du prochain cycle de financement du Fonds mondial. Médecins Sans Frontières espère d'ores et déjà que les responsables politiques lui apporteront leur soutien inconditionnel.

Quentin Barrea

Press & Media FR, Médecins Sans Frontières

 

 

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