Proposition de carte blanche - Yemen: des restrictions humanitaires désastreuses
Bonjour,
Vous trouverez ci-dessous une proposition de carte blanche dans laquelle le président de MSF Espagne dénonce la décision de la coalition menée par l'Arabie Saoudite au Yemen de restreindre l'accès humanitaire. Une décision d'autant plus dramatique que les conditions de vie de nombreux Yéménites sont devenues insoutenables après des années de guerre.
Pourriez-vous me signaler si vous êtes intéressés par sa publication ? Merci d'avance.
Cordialement,
Raphaël Piret
Alors que la guerre au Yémen continue de faire des ravages parmi la population civile, la récente décision prise par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite de restreindre l’accès humanitaire au pays ne fera qu’aggraver une situation déjà catastrophique. Cette terrible décision met en péril le travail des quelques rares organisations qui fournissent encore de l’assistance au Yémen.
Mon organisation, Médecins Sans Frontières (MSF), se bat pour fournir des services médicaux essentiels au Yémen, maintenant que les principales frontières sont fermées. La semaine dernière, les avions qui devaient transporter les spécialistes médicaux dans le pays ont été cloués au sol, tandis que les navires qui acheminaient les médicaments et équipements médicaux n’ont pas pu pénétrer dans la ville portuaire d’Aden. Alors que le blocus avait été partiellement levé vendredi, les principales voies d’acheminement de l’aide restent fermées et nous ne savons pas quel accès au pays recevront les organisations humanitaires dans les semaines à venir. Pour comprendre l’impact profond de ces mesures sur les populations, il faut réaliser l’ampleur actuelle des souffrances.
Plus de deux ans de guerre ont déjà entraîné une série de catastrophes mortelles dans leur sillage : une épidémie de choléra sans précédent plus tôt dans l’année, une malnutrition sévère qui frappe les campagnes alors que le prix des denrées alimentaires de base s’envole. Dans le même temps, des centaines de centres de santé ont été endommagés ou détruits, privés de fournitures essentielles ou encore abandonnés par le personnel médical que le gouvernement ne rémunère plus depuis plus d’un an.
Lorsque j’ai visité le Yémen en septembre, je me suis rendu dans la ville d’Abs, au Nord du pays, où nous soutenons le seul hôpital pleinement fonctionnel en zone rurale. Avant que le conflit ne s’envenime, l’hôpital prenait en charge un public cible d’environ 100 000 personnes. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à un million. Aucune autre infrastructure sanitaire n’est disponible pour les personnes qui vivent dangereusement près de la ligne de front, à une cinquantaine de kilomètres.
Des patients faisaient la file dans la cour en gravier de l’hôpital rural d’Abs, sous une chaleur accablante, en attendant leur traitement. Les 40 lits du centre de nutrition thérapeutique étaient occupés par des enfants malnutris. J’ai rencontré Fatma, une fillette de 9 ans apathique et émaciée, qui portait une robe mauve. Le personnel l’avait traitée pour une malnutrition sévère plus tôt dans l’année, et l’avait sauvée grâce à une transfusion sanguine, mais elle était de retour et souffrait d’un des pires cas de malnutrition qu’ils n’aient jamais vu. Nous ne savions pas si elle allait survivre.
D’autres patients sont arrivés avec des infections respiratoires, des morsures de serpent, des insuffisances hépato-cellulaires ou des fractures. La semaine avant la fermeture des frontières du Yémen, l’hôpital a reçu 980 visites aux urgences, les médecins ont pratiqué 110 interventions chirurgicales et les sages-femmes ont réalisé environ 20 accouchements par jour. Et malgré notre présence plus qu’indispensable, depuis la dernière escalade des violences, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a demandé aux organisations humanitaires d’éviter les « zones de combat », ce qui empêcherait des milliers d’autres personnes d’accéder aux soins de santé dans les communautés transformées en zones de guerre.
Même l’hôpital d’Abs – protégé par le droit international humanitaire – a été bombardé par la collation dirigée par l’Arabie saoudite en août 2016. L’attaque a fait 19 morts, dont un membre du personnel de MSF, et 24 blessés. Ce bombardement était et reste injustifiable.
Dans ces conditions, beaucoup de personnes n’ont pas accès aux soins médicaux et les millions de personnes déplacées par la guerre ont besoin d’une aide de base.
Avant de quitter Abs, j’ai visité un camp balayé par le vent à l’Est de la ville, où vivent des déplacés depuis plus de deux ans. Presque aucun soin de santé ou infrastructure n’est disponible dans le camp, où l’eau potable n’est acheminée par camion que tous les dix jours. Alors que toute personne a besoin d’environ 15 litres d’eau par jour, les habitants du camp m’ont indiqué qu’ils n’en recevaient que deux.
Beaucoup ne disposaient même pas d’un abri de base et étendaient des vêtements décolorés par le soleil entre des bâtons et sur la boue pour fabriquer une tente de fortune. Un vieil homme du nom de Khatif a soulevé sa chemise, révélant une hernie non traitée qui formait une bosse sur son abdomen. Depuis que la famille a trouvé refuge dans le camp, il a perdu deux de ses petits-enfants, sans en connaître les raisons. Il les a enterrés dans un champ.
Les besoins extrêmes de la population yéménite ont conduit MSF à étendre massivement ses opérations médicales. Nous pouvons compter sur près de 1600 collaborateurs dans tout le pays, dont 82 expatriés, qui travaillent dans 13 hôpitaux et en soutiennent 18 de plus. Nous sommes cependant loin de pouvoir répondre à la hausse des besoins. Alors que toutes les parties au conflit sont dans une certaine mesure responsables de la crise actuelle, la fermeture continue des principales routes d’acheminement de l’aide dans le pays par la coalition saoudienne constitue une mesure dramatique pour les civils sans défense.
L’impact des restrictions aux frontières se fait déjà terriblement ressentir. Les prix des carburants ont grimpé en flèche, ce qui signifie que les personnes ayant besoin de soins médicaux n’ont plus les moyens de se rendre à l’hôpital. Les réserves de certains médicaments commencent à s’épuiser. Notre personnel médical est dans l’incapacité de rejoindre le Yémen pour y dispenser des soins vitaux.
Les dirigeants de la coalition doivent immédiatement garantir un accès sans restriction au Yémen et une circulation libre dans le pays, afin que ceux qui en ont le plus besoin puissent recevoir une assistance humanitaire. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite s’était engagée à protéger « l’entrée et la sortie des fournitures et des équipes humanitaires ». Pour la santé et la sécurité des habitants d’Abs, et des millions de Yéménites qui n’ont pas accès à l’eau potable, à une alimentation adéquate et à des soins de santé de base, cette promesse doit être tenue.
Dr David Noguera, président de Médecins Sans Frontières (MSF) Espagne.