Calais: face aux carences de l’État français, MSF fournit une aide aux rescapés de naufrages dans la Manche
Avec au moins 75 morts depuis janvier lors de tentatives de traversée, 2024 est l'année la plus meurtrière sur le littoral nord de la France. Pourtant, les pouvoirs publics n’ont fait qu’augmenter les dispositifs sécuritaires, au détriment des mesures de protection et de mise à l’abri, qui permettraient d’apporter assistance aux rescapés de ces naufrages. Face à cet abandon, et à l’occasion de la Journée internationale des migrants ce mercredi 18 décembre, Médecins Sans Frontières (MSF) alerte sur la situation et pallie les défaillances de prise en charge des services de secours français, en apportant une aide médicale et psychologique aux rescapés.
Selon le ministère de l'intérieur britannique, 33 973 personnes1 ont traversé la Manche à bord d’embarcations de fortune et sont arrivées au Royaume-Uni depuis le début de l’année. Un chiffre déjà bien au-delà du total de 29 437 traversées en 2023. Depuis le mois de mai, les autorités britanniques ont également signalé que les autorités françaises ont empêché environ 621 tentatives de traversée, impliquant au moins 18 751 personnes2.
Aucune aide psychologique n’étant fournie de la part des autorités, de nombreuses personnes ayant survécu à un naufrage ou à une tentative de traversée se retrouvent livrées à elles-mêmes, après avoir vu leurs proches engloutis par les eaux de la Manche.
« Une prise en charge psychologique, dans les heures ou les jours suivant un évènement potentiellement traumatique, est importante pour prendre en charge les premiers symptômes et prévenir l’apparition d’un état de stress post-traumatique. Pour permettre aux rescapés de verbaliser leur vécu émotionnel, il est essentiel de leur fournir d’abord un abri, un espace sécurisant qui répond à leurs besoins physiologiques, afin de pouvoir ensuite leur proposer une aide médicale et psychologique », explique Chloé Hannebouw, psychologue pour MSF à Calais.
Entre janvier et octobre 2024, les équipes de MSF à Calais ont :
- rencontré 240 mineurs non accompagnés (MNA)
- effectué 958 consultations médicales
- 181 consultations psychologiques
Une prise en charge défaillante
En théorie, la préfecture du Pas-de-Calais a conçu un protocole spécial d’assistance humanitaire destiné à prendre en charge les naufragés sur le littoral nord. Celui-ci prévoit que les rescapés les plus vulnérables puissent avoir accès à un abri et que l’ensemble des naufragés puissent recevoir des vêtements secs, ainsi qu’une prise en charge médicale et psychologique. Cependant, malgré ces engagements et les dispositifs de secours en place, les services de l’Etat peinent souvent à fournir une aide médicale et psychologique adaptée aux besoins urgents des rescapés.
Le manque de moyens disponibles résulte du choix de l’État français de militariser et sécuriser la frontière plutôt que celui de garantir un acceuil digne. Ainsi, le défaut de formation des équipes médico-psychologiques intervenant auprès des naufragés, l’absence de médiateurs et d’interprètes, ainsi que l'insuffisance de solutions de mise à l’abri d’urgence, essentiels pour éviter que la situation d’errance après l’accident ne fasse obstacle à la fourniture de soins nécessaires, sont les principaux freins à la mise en œuvre d’une réponse adéquate.
« Les personnes exilées demandent rarement de l’aide de manière proactive. Devoir se rendre dans des structures spécifiques pour en bénéficier, représente souvent une barrière car elles ne connaissent pas le système de soins français, la langue française, et elles ont souvent peur d’être arrêtées et expulsées », souligne Chloé Hannebouw.
Des soins psychologiques et somatiques indispensables
Depuis janvier, Chloé Hannebouw a pris en charge 86 patients, dont 26 personnes témoins ou victimes d’un naufrage, d’une tentative de passage ratée, ou ayant subi d'autres événements traumatiques. Les patients pris en charge par MSF présentent des symptômes tels que des flash-backs, des cauchemars liés à l’incident traumatique, des souvenirs répétitifs et envahissants, des ruminations mentales. La souffrance liée à ces symptômes est parfois tellement intense qu’elle entraîne l’apparition d’idées suicidaires.
Outre les souffrances psychiques, l’équipe médicale de MSF soigne des blessures et d’autres problématiques, comme des infections de plaies dues à l’absence de prise en charge immédiate après un naufrage, aggravées par les conditions de vie insalubres. Élise Houard, infirmière pour MSF à Calais raconte :
« Les patients présentent des brûlures causées par le contact prolongé de la peau avec un mélange d’essence et d’eau de mer, ou par une explosion sur le bateau. Les incidents sont fréquents : récemment, j’ai rencontré un patient blessé au bras par l’hélice d’un bateau »
Au lieu d’améliorer et de renforcer le dispositif d’assistance humanitaire prévu en cas de naufrage, les autorités françaises poursuivent la politique de dissuasion en privant les personnes exilées de l'aide essentielle dont elles ont besoin. Feyrouz Lajili, responsable des activités de MSF à Calais:
« Comment est-il possible que des personnes endeuillées et traumatisées se retrouvent seules à errer dans les rues de Calais, sans abri ni assistance, après avoir perdu un proche dans une noyade ? Les priver d’un abri et leur refuser une assistance médico-psychologique sous prétexte qu’elles souhaitent se rendre au Royaume-Uni est à la fois cynique et scandaleux ».
Face à des politiques migratoires de plus en plus brutales, marquées par l’exclusion et la répression, les personnes exilées vivent un parcours exténuant et violent pour chercher refuge en Europe. Pourtant, à leur arrivée en France, elles sont confrontées à des labyrinthes administratifs, à la précarité, à l’exclusion et aux violences, ce qui aggrave leur santé physique et mentale. MSF appelle une fois de plus les autorités à garantir un accueil digne aux personnes rescapées, et à leur assurer un suivi psychologique et médical.
1 Figures updated on 5th December 2024. See table ‘Migrants detected crossing the English Channel in small boats - time series’.
2 Ibid.
Quentin Barrea