Avortement : les femmes plus exposées au risque de décès dans les zones de conflit ou les contextes fragiles
Jusqu’à sept fois plus de complications sévères à la suite d’avortements non-sécurisés dans les zones de conflit ou les contextes fragiles : c’est ce que révèle l’une des toutes premières études sur le sujet, réalisée dans deux hôpitaux à Bangui en République centrafricaine et dans l’État de Jigawa, dans le nord du Nigéria. Au-delà des chiffres, des histoires de femmes et une vulnérabilité universelle.
Environ 70 % des décès maternels se produisent en Afrique subsaharienne (1). Parmi les cinq principales causes figurent les complications d’avortement, pour lesquelles peu de progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies. Pourtant, la plupart des décès qui y sont liés sont le résultat d’avortements provoqués non-sécurisés (2), qui pourraient être largement évités en fournissant des soins complets d’avortement, incluant des soins post-avortement, des services de contraception et des services d’avortements sécurisés.
L'étude AMoCo*,(Abortion-related Morbidity and mortality in fragile and Conflict-affected settings.) menée par Médecins Sans Frontières, Épicentre, l’Institut Guttmacher et Ipas, en partenariat avec les ministères de la santé de la République centrafricaine et du Nigeria, révèle que les complications sévères sont cinq à sept fois plus fréquentes dans les deux hôpitaux étudiés que dans des hôpitaux africains de contextes plus stables évalués par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avec une méthodologie similaire (3).
Dans ces deux hôpitaux, plus de 50 % des femmes admises pour une complication d’avortement présentaient une forme grave, majoritairement des hémorragies (72 % dans l'hôpital nigérian et 58 % dans l'hôpital centrafricain).
La sévérité des complications observées peut s’expliquer par une insuffisance des services de soins post-avortement et par les multiples barrières pour y accéder. À cela s’ajoutent un risque accru d'exposition aux violences sexuelles dans ces contextes ainsi que des difficultés d’accès à la contraception : ces facteurs augmentent à leur tour le risque de grossesse non-désirée et de recours à des avortements non-sécurisés, en particulier dans ces contextes où les lois sur l’avortement sont restrictives.
En Centrafrique, la première cause de mortalité maternelle
Avec 829 décès pour 100 000 naissances vivantes, la République centrafricaine a l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde (4). Une étude menée par le ministère de la Santé centrafricain et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) a évalué que les complications liées à l’avortement représentaient près d’un décès maternel sur quatre (5).
Dans l’hôpital de Bangui où a été réalisée l’étude AMoCo, les admissions pour des complications d’avortement représentaient 20 % de toutes les admissions liées à la grossesse au cours de la période étudiée, ce qui corrobore ces résultats. Plus des deux tiers sont survenues pendant le premier trimestre de grossesse. Plus d’un quart des femmes avaient 18 ans et moins.
Des méthodes d'avortement sécurisées peu connues
Environ 25 % des femmes interrogées dans l’hôpital de Jigawa et 45 % de celles à Bangui ont indiqué avoir provoqué leur avortement. Plus des deux tiers de celles ayant participé à l’étude à Bangui et presque la totalité (95 %) de celles interrogées dans l’État de Jigawa ont eu recours à des méthodes dangereuses pour avorter, parmi lesquelles des méthodes instrumentales réalisées dans des conditions septiques avec des objets contondants en métal ou encore des bâtons de manioc, des injections, des herbes et remèdes traditionnels, ou des médicaments.
Le risque de complications très sévères, allant jusqu’au décès, était plus de trois fois plus élevé chez les femmes ayant déclaré un avortement provoqué non-sécurisé que chez les autres femmes dans l’hôpital de Bangui.
Les sources d'informations sur l'avortement provoqué étaient le plus souvent informelles et émanaient généralement de membres de la famille, d’amis ou de collègues. Le choix d’une méthode d’avortement semble davantage s’effectuer en fonction de l’efficacité perçue et de la facilité d'accès plutôt que de la sécurité.
Lorsque l’état de la grossesse est communiqué au partenaire, ce dernier intervient souvent dans le processus de décision et dans le choix de la méthode d'avortement. Les conjoints qui désertent ne laissent souvent pas d’autres choix à leur compagne que d’avorter.
Des difficultés d’accès aux méthodes contraceptives
Les difficultés d’accès aux méthodes contraceptives sont également à l’origine de grossesses non-désirées. Respectivement 3 % des femmes interrogées dans l’État de Jigawa et 37 % de celles à Bangui ont déclaré qu’elles utilisaient une contraception au début de leur grossesse.
À Bangui, la peur des effets secondaires était la principale raison rapportée. De plus, les femmes ont expliqué qu’elles faisaient face à de multiples difficultés pour assurer la continuité de leurs contraceptions, notamment des effets secondaires avec un manque de méthodes alternatives disponibles, des coûts de transport importants ou encore des horaires d’ouverture ne leur permettant pas d’aller les renouveler.
Des délais d’accès aux soins extrêmement longs
L’étude AMoCo décrit également le parcours long et difficile des femmes pour accéder à des soins post-avortement, aggravant d’autant plus les complications et les risques encourus par celles-ci. La moitié d’entre elles ont mis deux jours ou plus après l’apparition des premiers symptômes pour atteindre un centre de santé adéquat. 27 % des femmes interrogées côté nigérian et 16 % côté centrafricain ont mis six jours ou plus. Souvent, les symptômes ne sont pas perçus comme graves au début, et encore moins comme une priorité. Certaines femmes ne se rendent pas compte qu'elles sont enceintes. Dans d’autres cas, les femmes veulent tout simplement garder leur avortement secret.
Lorsque les symptômes s’aggravent, elles décident souvent de retourner consulter la personne qui a pratiqué l'avortement ou des prestataires de soins non-formés, ce qui augmente encore les retards aux soins et le délai avant un traitement adéquat. Les femmes tentent dans un premier temps de gérer les symptômes à la maison avec des médicaments achetés elles-mêmes (y compris des produits pharmaceutiques et des traitements traditionnels).
Les retards d’accès aux soins sont renforcés par le manque d’informations à propos des structures de santé adéquates pour prendre en charge les femmes qui en ont besoin. Celles-ci doivent également trouver l’argent pour payer le transport et les frais inhérents aux soins, ainsi qu’une personne pour les accompagner. À titre d’exemple, la plupart des femmes ayant participé à l’étude ne savaient pas que les services à l’hôpital de Bangui étaient fournis gratuitement.
Contacts et interviews
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Etude AMoCo République Centrafricaine
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Etude AmoCo République Centrafricaine
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* AMoCo : Abortion-related Morbidity and mortality in fragile and Conflict-affected settings. Effectuée en collaboration avec les ministères de la santé centrafricain et nigérian, cofinancée par MSF et ELRHA/R2HC, l’étude AMoCo rassemble les données de 1068 femmes présentant des complications liées à l'avortement.
1. Trends in maternal mortality 2000 to 2020: estimates by WHO, UNICEF, UNFPA, World Bank Group and UNDESA/Population Division https://www.who.int/publications/i/item/9789240068759
2. Grimes DA, Benson J, Singh S, Romero M, Ganatra B, Okonofua FE, et al. Unsafe abortion: the preventable pandemic. Lancet [Internet]. 2006 Nov 25 [cited 2020 Jul 13];368(October):1908–19. Available from: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17126724/
3. Qureshi, Zahida & Mehrtash, Hedieh & Kouanda, Seni & Griffin, Sally & Filippi, Veronique & Govule, Philip & Thwin, Soe Soe & Bello, Folasade & Gadama, Luis & Msusa, Ausbert & Nafiou, Idi & Goufodji, Sourou & Kim, Caron & Wolomby-Molondo, Jean-Jose & Mugerwa, Kidza & Bique, Cassimo & Adanu, Richard & Fawole, Bukola & Madjadoum, Thierry & Tunçalp, Özge. (2021). Understanding abortion-related complications in health facilities: Results from WHO multicountry survey on abortion (MCS-A) across 11 sub-Saharan African countries. BMJ Global Health. 6. e003702. 10.1136/bmjgh-2020-003702.
4. WHO, UNICEF, UNFPA, World Bank, UNDP. Trends in maternal mortality 2000 to 2017. [Internet]. Geneva: World Health Organisation; 2019.
5. Ministère de la santé de la République centrafricaine, UNFPA. Évaluation de la disponibilité, de l’utilisation et de la qualité des soins obstétricaux d’urgence dans la zone d’intervention de l’UNFPA en République centrafricaine. Bangui; 2010.
6. National Population Commission (NPC) [Nigeria], ICF. Nigeria Demo‑ graphic Health Survey 2018. 2019. p. 748. https://dhsprogram.com/publi cations/publication-fr359-dhs-fnal-reports.cfm. Accessed 8 Feb 2023